Un manuau pedagogic creat per Florian Vernet en 1982. |
Un manuau pedagogic creat per Florian Vernet en 1982. |
Entrevista ambe Glaudi Barsotti, a la fin des annadas 90. L'òme èra cap redactor de Mesclum. Publicava Vernet en fuelhetons. |
Pourquoi Florian Vernet nous influence ?
J’ai connu la littérature de
Florian Vernet alors que j’étais étudiant en lettres modernes à la fin des
années 90. Je n’étais alors ni intéressé par la littérature occitane, ni
par la langue. La maigre représentation que j’en avais en Petite Camargue où je
suis né restait poussiéreuse sinon folklorique. C’était un patois, au pire. On
l’employait pour dire certaines choses. Pour rire, insulter ou parler entre
nous. Sans plus. On parlait un peu. On ne nous transmettait pas.
Moi, j’étais féru de littérature
et de cinéma ; je ne pouvais pas penser qu’une écriture en langue
minoritaire puisse dépasser le génie d’un Rabelais, d’un Céline ou d’un San
Antonio.
Je ne connaissais rien à l’héritage de notre
grande littérature d’oc. Puis il y a eu la rencontre avec les œuvres de Florian
Vernet.
J’ai découvert son sens maîtrisé du récit au milieu des
années 90 dans le journal Mesclum, la
page occitane qui paraît chaque semaine dans la Marseillaise. C’était un polar humoristique, addictif, qui s’appelait Popre Ficcion. Je déchiffrais très mal l’occitan mais je restais
stupéfait devant ce style cinématographique, concis, ancré dans la réalité
urbaine, parsemé d’expressions populaires. Ce qui me poussa à vouloir étudier
puis apprendre la langue d’oc.
Les jeunes lecteurs s’identifient
immédiatement au langage de Vernet qui reflète le langage de la rue. Les
étudiants l’admirent et le citent comme premier auteur occitan. L’ancien
rédacteur en chef de Mesclum dit que
les ouvriers provençaux aiment lire Vernet dans le texte car ils y retrouvent
une façon de parler qui leur est propre.
Je veux aujourd’hui simplement
retracer le parcours de cet écrivain majeur qui sait renouveler le langage, construire
des histoires avec un sens maîtrisé du récit mais sait intéresser une nouvelle
génération d’auteurs et de lecteurs occitans. Une influence majeure pour nous.
Le professeur
La lecture d’un roman de Vernet
est une révélation au langage. « Una lenga a un besonh de création »
(« une langue a un besoin de création »), m’a-t-il dit lors d’un
entretien alors que j’écrivais une maîtrise à son sujet avec le chercheur et
poète Philippe Gardy. Le récit a une valeur pédagogique : il faut enseigner
sa langue par la littérature.
Commençons par le début de son
parcours. En 1972, Vernet donne pour la
première fois des cours d’occitan dans les écoles primaires et crée des
ateliers d’écriture. Puis, formateur aux métiers de l’enseignement, il améliore
ses narrations avec ses élèves ; un peu comme le fera Pennac. Son public
est réactif.
Ce sens du public, de
l’immédiateté, ne viennent pas de nulle part. Ils s’inspirent des premiers
tâtonnements issus de son expérience théâtrale. En 1968, le Biterrois participe
à l’aventure du centre dramatique occitan dirigé par André Neyton. Claude
Alranq, autre dramaturge de l’époque, insiste pour que les acteurs
« déjouent ». L’occitan s’ouvre à tous, évite l’élitisme. Les
personnages sont des idéaux. Finis les archétypes pagnolesques, les personnages
portent tous les noms symboliques d’un terroir ou d’un combat. Pourtant, dans
sa pièce de théâtre intitulée Chola-Babau en 1977, Florian Vernet baptise
ses premiers personnages Zé et Margarida, prénoms typiquement provençaux. Alors… sommes-nous déjà dans la
caricature ? En tout cas, le sens du dialogue, l’amour de la langue parlée
semble née de cette expérience. Les décors vénitiens resteront longtemps
utopiques, inventés et symboliques. Comme le théâtre de ses contemporains.
Sketchs Hachés, seconde œuvre de jeunesse, explore l’univers
fantastique et la farce, ancre la vie dans nos idéologies, la colle à un
quotidien noir. La farce attire par le rire. Le fantastique donne une
impression de modernité décalée. L’écriture joint le ludique au pédagogique. Le
fantastique farcesque amène à la réflexion. La farce, comme la satire plus tard
dans les polars parodiques raille férocement le rejet de la langue occitane par
la société française. Le langage et univers décalé : le monde du romancier
est en place.
Le fantastique
Le fantastique devient dès lors
le lieu de prédilection de l’auteur. Il évoque le territoire occitan tout en se
libérant de celui-ci. Comme Rabelais inventait des territoires aux noms
étranges ou symboliques (Pantagruel est né dans le pays d’Utopie, quelque part
en Afrique), Vernet dans ses recueils de nouvelles Qualques Nòvas d’Endacòm Mai (quelques nouvelles d’ailleurs) et Miraus Escurs (Sombres miroirs),
surnommés « romans comprimits », construit les villes d’Erotopia, Anestesia,
Eutanasia, cités d’un pays malade. Ces villes perdues évoluent dans un pays
qu’on ne sait plus situer : « Era un pais luenh, luenh, fa d’aquò
longtemps (…) Los que demoravan defòra l’avián sonat « Endacòm
Mai » ; (« C’était un pays loin, très loin, il y a de cela fort
longtemps (…) Ceux qui venaient de l’extérieur l’avaient appelé : « D’ailleurs »)
Qualques nòvas d’endacòm mai et Miraus
Escurs forment un diptyque. Quel est le regard que le terrien porte sur
l’extraterrestre ? Le regard du Français sus l’Occitan ? L’Occitan malade
perd la parole, la vue, le toucher. Il recherche désespérément son image perdue
dans le miroir qui s’obscurcit et marque la fin d’une identité. D’où le titre.
« Eterotopia », pays de l’éclectisme et du mélange nous façonne
anonymement en chaîne. Les hommes n’ont plus de liens familiaux. Qu’est-ce
qui nous pousse à vivre encore? Des
dieux ? Le capitalisme ? On ne sait pas. Mais cette instance
mystérieuse nous « suce le sang » : « Conoisses lo nom
mascat de los qu’an volgut nos faire a sa semblança, per melhor nos escrancar e
nos chucar lo sang ? » (« Connais-tu le nom caché de ceux qui
ont voulu nous faire à leur image, pour mieux nous écraser et nous sucer le
sang ? ») La préface de Qualques
Nòvas d’Endacòm Mai nous rappelle que nous n’existons pas : « Existissèm
pas ».
L’auteur de polar
Si la langue est ludique, le jeu
mérite des règles. C’est pourquoi Vernet choisit le roman policier. Genre
précis, réaliste qui impose ses lois d’écriture et de genre : le crime, le
mystère, la violence, le sexe, le langage trivial, l’humour. La forme courte
est privilégiée (inspirée par le pulp américain d’où le titre savoureux : Popre Ficcion) pour encourager les
nouveaux lecteurs. Le polar devient l’enjeu principal de son écriture. Le
premier roman policier E Freud dins
Aquò ? vise un nouveau
public populaire. Mesclum, dirigé par
le journaliste Claude Barsotti, le découpe en feuilletons dès 1990. Trois
romans policiers – sur le même modèle – suivront : My Name is Degun, Suça Sang Conneccion, et Popre Ficcion. Le policier occitan dans les années 90 se rallie
symboliquement au grand mouvement du polar marseillais représenté par Jean
Claude Izzo. Les personnages de Vernet, eux, au fil des récits évoluent à
Marseille, Toulon ou Nice. Son néo-polar a pour but de dénoncer les inégalités
sociales, de défendre les minorités (My
Name is Degun se passe dans une ville de province dirigée par l’extrême
droite, son personnage principal s’appelle Akim) mais surtout de défendre une
identité méditerranéenne dans une Provence non folklorique mais vivante. Il
s’agit en général d’affirmer une identification métissée. L’énigme du polar
n’est plus qu’un prétexte. Le tout, comme dirait Michel le Bris, est de
« dire le monde ».
Vernet parodie. Il exagère ses références
policières et cinématographiques. L’exploration de ce genre permet l’ouverture
de la culture occitane sur des fondements nouveaux, une littérature ouverte à
l’échange intertextuel et au monde contemporain. Vernet (comme San Antonio) détourne les
citations, les poncifs, les systèmes du genre noir ou d’une école d’écriture
(l’école du Masque dans My Name is Degun).
L’intertextualité est omniprésente. Ses
personnages principaux portent le chapeau comme Bogart.
Le jeu avec le langage reste le
plus intéressant. Le genre noir français permet l’utilisation abondante de
l’argot. Alors, Vernet l’Occitan répertorie dans sa prose des expressions
provençales : « marcamau se passeja ! », « fant
de puta », « fora-bora », « garçar lo camp »,
« mon grand lo bornhe », « tot marcha dins l’òli », « putan
de gòi », « patin-coffin », « despuei l’an pebre »,
« tifa-tafa ». Ces expressions reviennent d’un épisode à l’autre,
d’un polar à l’autre comme des leitmotivs.
Le romancier est aussi linguiste
à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Dans sa prose il retranscrit sous
forme ludique ses observations scientifiques de l’occitan oral. D’ailleurs
l’auteur l’avoue : « le roman policier permet une littérature sans
cravate. » Comme dans les chansons de Massilia Sound System, Vernet joue
avec l’anglais. Le titre My Name is Degun nous rappelle l’emprise
despotique sur le langage mondialisé.
Le sens de la satire est
omniprésent. A l’époque où les Guignols
de l’Info influencent les jeunes français, on apprécie les caricatures :
un français moyen promène son chien. Il déblatère des idées de droite en
promenant un chien appelé Jupet. Comme dans les romans noirs, la connotation
sociale (une femme qui passe sa vie entre sa télévision et sa fenêtre), se
double d’une connotation psychanalytique
(les allusions à Freud) et bibliques (à la fin du premier polar, les hommes
marchent sur l’eau).
Les temps évoluent. Il y a très
longtemps qu’on n’a pas eu un roman policier ou un récit fantastique dans le
journal Mesclum. Tout se
métamorphose. L’humour est plu rare, plus en pointillé mais bien incisif. Récemment
Florian Vernet a sorti chez IEO un magnifique recueil plus personnel : Fin de Partida. Fin de
partie. Comme un écho au livre de Becket. Les nouvelles sont denses,
parfaitement développées. La première nouvelle qui raconte la dernière
randonnée d’un homme en fin de vie s’ancre dans une réalité cruelle que l’on ne
trouve rarement dans les littératures du monde. La tonalité en est plus grave.
Influences.
Florian Vernet a influencé les
occitanistes d’aujourd’hui. Souvent par un parcours artistique parallèle.
Magali Bizot Dargent, auteur contemporain, qui a signé très recemment Cronicas pacolinas, Esquissas per un retrach de l'ombra, et Questions essencialas e autreis escrichs minusculs, comédienne, l’a
rencontré au CDO (centre dramatique occitan) mais n’a jamais tourné dans ses
spectacles. Elle se souvient très bien des petits spectacles populaires que
faisait tourner Vernet sur Toulon. Ce sont surtout les feuilletons dans Mesclum
qui l’ont marquée car ils présentaient une littérature décomplexée,
loin des écrits de terroir. Et en cela Vernet a débloqué les champs de
l’imaginaire pour des auteurs qui étaient fascinés mais parfois écrasés par la
grandeur de Frédéric Mistral et d’autres illustres félibres. Florian Vernet ouvrait
le chemin de la liberté littéraire. Magali comme Florian a été longtemps
influencée par San Antonio. Moins par la littérature occitane. Pour elle,
Vernet c’est d’abord une écriture militante. « Qui ne s’emmerde pas,
dit-elle. »
Dans mon dernier recueil Esperit de Sau, j’ai voulu écouter les
conseils de Vernet nouvelliste. Il m’a toujours conseillé d’aller au bout de
mes histoires qu’il trouvait parfois inabouties lors de nos trop rares
échanges. J’ai essayé d’emprunter chez lui ce mélange de fantastique et de
souffrance, de réalisme et d’imaginaire pour décrire la noirceur du quotidien.
J’ai toujours aimé l’utilisation
de la langue verte par Zola dans l’Assommoir.
Vernet est de cette école-là. C’est un auteur que je mets à côté de Céline, pas
loin de San Antonio. Bien en vue de ma bibliothèque. Au milieu des grands
classiques et des auteurs amoureux de l’humour noir et du langage.
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