Agence de voyage. Les couloirs. Je la sens bien sa présence mais je ne la vois pas. Un regard, des yeux camouflés dans le mur. Comme ce chat mystérieux dans ALICE AU PAYS DES MERVEILLES. Je sens bien cette odeur de poudre mêlée au maquillage. Et ces yeux deux, brillants, ses yeux piscine, qui m'épient et qui me guettent. Je la devine. Et je la cherche. Je marche droit. Channel numéro cinq. Ca cocotte dur, bâtiment A. Elle m'espionne, elle m'attend. Saucine, la secrétaire en string surgit soudain sur mon passage, au détour d'un pilier.
- Ah! Monsieur Tam, quel hasard! Vous tombez bien! Je devais vous voir, c'est pour mon fils.
Mes yeux s'arrondissent comme des balles de ping-pong. A-t-elle déjà porté ce décolleté? Prémédité! Comment s'est-elle préparée à notre échange le soir même? Combien de bustiers, de montgolfières, de ballons gonflés au benzène essayés, posés, jetés en vrac dans le panier du sale, dans le placard du propre, par terre, sur les cintres, superposés, borgnes, voyants, doubles, qui s'ouvrent tout seul, en cuir, avec un zip autour, prédécoupés, en pointillés, pour qu'on suive bien les formes, mis, remis, arrachés de rage, décollés doucement comme un timbre de collection, ajustés juste au niveau du téton pincé, sous un chemisier, sans un chemisier, le nombril à l'air, agraphés, dégraphés, les cheveux remontés, le bustier lourd et violet sur un t-shirt noir, ou un sous-tif en dentelles, balconnet terrible genre Marie Antoinette ou Madone de chez Jean-Paul Gaulthier ? Ses mains légères remontent le tout, synchrone. Combien d'heures pour moi pour préparer le décolleté idéal? Enfermée dans sa salle de bain, à faire couler l'eau pour camoufler le bruit des soutiens-gorges sautants sur la musique de PRETTY WOMAN? La buée à la vitre, le reflet saturé par son souffle et ses efforts pour me rencontrer demain. Le verrou remonté, elle se cache de son mari alcoolisé sur le canapé qui rote devant le discours de Toulon sur BFM: "Hé! Ben! Tu fous quoi? Merde. J'ai faim." Car elle m'a bien prononcé ce mot, c'est sûr, t'en es témoin: "mon fils" et contrairement à ce que dit Jean-Jacques, elle n'avait pas fait un bébé toute seule. Merdoum, Mme Sausine, la secrétaire en string, ne vit pas seule. Comme quoi la chanson a pas toujours raison.
Son scénario elle l'avait créé, là, figée sous les couette lourde, les yeux rivés au plafond invisible, toute seule dans sa tête, tourne-retourne dans le noir de la nuit de couples sans libido, soulevée par les ronflements porcassiers de son mari.
Le soutien-gorge craquant caché dans le cartable. Les cheveux tenus pas des épingles. Le string dans la poche de devant, elle se change dans les toilettes du bureau, comme un collégienne fautive de sa métamorphose adolescente. Elle apparaît au pilier:
- Mon fils, Monsieur Tam, il veut apprendre l'excitant...
Lapsus. Elle se reprend:
- L'occitan, mr Tam, l'occitan.
Elle rougit et dit:
- Il écoute Massilia. Il veut venir à votre club. Au collège, ils ferment les options.
Mon club? Pour le personnel de l'Agence? Celui que j'organise entre midi et deux et dont la moyenne d'âge est -disons le - de cinquante ans?
Je réponds c'est sûr, on a tous intérêts d'être bilingues. Elle reprend son doux souffle mentholé:
- J'ai trouvé ce petit livre. Regardez.
Je n'ai pas le temps d'identifier la couverture de l'ouvrage en question que sa douce main m'entraîne dans le placard à balais éclairée par une seule ampoule:
- On y verra mieux pour lire, ces couloirs sont trop sombres.
La porte se referme pour nous et là sauvage, arrachant une épingle qui retient ses cheveux de jais elle râle en jetant par terre le cahier pour la sixième niveau un, édité au CRDP de Montpellier:
- Aima me! Ara! (Aime moi! Maintenant!)
La conjugaison est juste, le -a final prononcé à la française. C' est pas grave j'ajusterai après, je gonfle mes muscles (je parle des bras, je suis un héros), la soulevant, la plaquant contre l'armoire en fer tenue par des boulons voyants qui se dévissent et sautent comme des ressorts rythmant chaque mouvement de mon bassin. Du grand art. Manu Katché à la batterie. Les bouteilles plastique immaculées, blanches de Javel, orange d'Ajax, marron de Carolin, bleutées de Canard WC (qui fait coin coin de plaisir avec son joli bec) sautillent à chacun de nos mouvements. Nous pourrions réciter les trois conjugaisons sans oublier les auxiliaires. Je décline toutes les positions. Elle apprend vite. Elle accroche son vernis aux étagères. Aime, Aimas, Aima, Aimam, Aimatz, Aiman. Ca coule tout seul. Un ange passe. Rattachez vos ceintures. Telle la phalène son string se colle et se balance contre l'ampoule brûlante quand ses balconnets viennent atterrir doucement comme une fleur sur le petit cahier bleu aux gribouillis d'enfant. Leçon numéro un. On aura besoin de réviser avant de transmettre.
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