dilluns, 15 de gener del 2007

Aile Noire 1. Où l’on découvre Aile Noire



Accordéon! Accordéon j'ai dit!
Aile Noire avait quatorze ans. Dans la rue Blanche où elle vendait son corps, elle rêvait à ses idoles : La Goulue,  Grille d’Égout, Nini Pattes-en-l’Air,  Jane Avril, Valentin Le Désossé.
 Ah ! Les doux noms charmants de nos chanteurs populaires! 
 Ah ! Leurs rondes silhouettes sur les affiches !
 Les hommes pausaient en écharpe. Les danseuses sautillaient le corps mi-nu en apesanteur comme des fées rouges.  Cette gigolette, cette Aile Noire, ce petit moineau sombre, cette étrange crevette au nom de sioux, voulait leur ressembler.
Les noirs de spectacle, Aile s'asseyait sur le bord du trottoir.
 Au fond de la Rue Blanche, les filles couronnées de plumes se préparaient pour leur entrée  en fumant une dernière cibiche. Tous ces costumes, ces pourpres, ces blancs, ces noirs,  ces odeurs fortes de cocottes en sueur,  ça la faisait chavirer.
            La Noire se vendait devant Le Moulin Rouge. Une tactique. Elle guettait les entrées et sorties, espérait lier contact avec le monde nyctalope des cabarets.  Elle marquait son territoire clopin-clopant. Comme un pas de danse. Elle s’exhibait. Mais on l’ignorait  avec ses jupons, ses cheveux noirs bouclés en bataille, ses collants serrés-serrés, sa démarche cahotante de clown qui possédait déjà une tenue, une allure particulière, une sorte de boitillement léger qui faisaient d’elle une chanteuse et son univers.
            Les spectateurs l’évitaient. Vers vingt-deux heures sous le parvis du music-hall, pendant l’entracte,  les hommes se taquinaient. Les mâles causaient avec les mâles, la tête masquée par un nuage de tabac. Les plus agiles se soufflaient des ronds de fumée à la figure. Ils riaient fort, très fort, très gras. Puis la sonnerie retentissait, fini la récré, le spectacle reprenait. Ils se saluaient de leurs chapeaux hauts de forme, se glissant quelques grivoiseries à l’oreille,  se copiant tous avec virilité. Petites tapes sur l’épaule.
Dernières plaisanteries tristes de pissotières.
Aile Noire enrageait de n’être rien parmi ces moutons de panurge.
 Elle n’existait pas.
 Moustachus, barbichus, binocles s’engouffraient dans la salle de spectacle pour admirer d'autres nanas.  Alors, ivre de rage,  sur son trottoir, comme sur une estrade, la pute vierge reprenait ses quartiers de nuit  en chantant un vieux succès de Thérésa :
« Je suis la Thérésa noire / Et je ne bois jamais de l’eau / Quelques bravos pour ma gloire / Saluez la Ri-bo-do ».
Le gigantesque Moulin la narguait de ses grandes ailes de chauve souris.
Accordéon! Accordéon j'ai dit.