dissabte, 26 de maig del 2007

Micheline de Luc Leclerc du Sablon





En cercant un article sus lei trins e lo cinèma vaquí çò que trobère dins lo jornau: L'Humanité. Un article de l'an 2000. Sus lo cineasta e lo trin. Flame.



Cinéma: Luc Leclerc du Sablon, faiseur de films pour les vivants
Premier film. Micheline de Luc Leclerc du Sablon est la bonne surprise de la rentrée. Voyagez assis et yeux ouverts.

GUICHET. " Mon père était ingénieur, polytechnicien et un des dirigeants de la SNCF, voilà longtemps parce qu’il est vieux. Il s’occupait des transports, de tout ce qui roule. Mon grand-père également était dans le même cas que lui. Quand j’ai commencé, au milieu des années quatre-vingt, à réaliser des courts métrages, j’ai placé mes histoires dans le train, assez naturellement. Puis, en tirant sur le fil de la bobine, on arrive à quelque chose qui n’est pas explicite pour se dire que le train est une organisation d’une modernité inouïe Le train est quelque chose qui m’intéresse dans sa proposition métaphorique : c’est un monde à lui tout seul, cela ressemble au cinéma. "
" J’ai commencé à comprendre tout cela chemin faisant, chemin de fer faisant (sourire), tout en pêchant des phrases à droite, à gauche, telle cette phrase que Truffaut faisait dire à Léaud dans la Nuit américaine : " Les trains sont comme des films qui avancent dans la nuit. " Un jour, je me suis dit qu’il fallait aller au bout de la question et choisir la proposition suivante : un mec seul prend un train et ne sait pas où il va. Voilà le point de départ du film. "
ACTEUR. " Le train est le personnage principal. Il n’est pas traité comme un décor. C’est ce que j’ai eu du mal à expliquer aux responsables de la SNCF. Je ne suis pas allé les voir comme des prestataires de service mais parce qu’ils sont garants de quelque chose qui ne leur appartient pas : un imaginaire collectif qui nous appartient à tous et sur lequel nous n’avons pas beaucoup de droits, si ce n’est de l’améliorer. Les gens qui ont inventé cela sont des poètes. Ils ont élaboré une proposition industrielle à une échelle qui les dépassait entièrement, à mon sens, et qui confinait à la poésie et à une tentative de résolution à l’échelle de l’humanité de la question " comment rapprocher les hommes et les points de vue ? ".
PREMIÒRE CLASSE. " Je suis passionné par le concret de la politique et de la philosophie. On pourrait en parler des heures. Mais je ne suis pas un syndicaliste ni un homme politique ni un philosophe. Mon approche de la réalité me rangerait plutôt dans la catégorie des poètes. Je me livre à des rabibochages de sens qui ne sont pas académiques, chose qui n’est pas acceptable pour un homme politique, malheureusement peut-être. Maine-Océan me parle beaucoup évidemment : (dit avec l’accent de Bernard Ménez, NDLR) " You are a ticket for a second class or you are in a first class and secondly you didn’t stamp your ticket à la gare. " Que peut-on dire de plus ? Rien. Il est dit là quelque chose de la société, des classes dans la société que je préfère entendre comme cela plutôt que de me faire bassiner avec du discours. Voilà concrètement une vérité des rapports de classe : tu as payé ton ticket, toi, pour être chez les riches ? "
AUJOURD’HUI. " C’est l’ouverture au temps présent. J’aimerais bien être aussi philosophe que mon personnage, mon voyageur. On vit d’une façon trop volontariste. Si on laissait les choses à leur propre expression et les signes que la vie nous envoie se débrouiller tout seuls et nous parvenir, on serait sans doute des gens plus équilibrés, plus libres et, à mon avis, plus heureux. Mais si le principal souci de l’humanité était d’améliorer son bonheur, cela se saurait. "
HASARD. " Le hasard ça s’organise. Ce que doit faire un metteur en scène est de tout mettre en branle pour que le jour J, à l’heure H, quelque chose puisse se passer. Sa maîtrise à lui est sur son comportement, sa posture, qui vont l’amener à un point qu’il ne maîtrise plus. Et ceux qui croient encore l’inverse, jusqu’à faire pleurer leurs acteurs, sont des espèces de fous furieux fascistes. De la même manière, ce qu’un acteur exprime va lui échapper. "
MUSIQUE. " Marc Perrone est un artiste que j’aime beaucoup, un homme formidable, d’une belle humanité. Il a une interprétation remarquable. Il est humble. La musique est plus grande que lui, il ne se prend pas pour plus grand que la musique. Il ne joue jamais deux fois la même musique. Il se balade dans sa musique. Il se joue de sa musique. On s’était rencontrés sur un mouvement social des intermittents et il m’avait dit avoir aimé un de mes courts métrages. Quand j’ai pensé à Micheline, j’ai pensé à lui parce que la thématique du train, du voyage est très proche de la sienne. Son spectacle récent s’appelait Voyages. Quand j’ai lu le dossier de presse, j’ai crû lire la note d’intention de mon film. Puisque tout est dans tout, la musique sera dans le film, pas au-dessus mais à l’intérieur même du film. Dans le train, il y a tout, il y a des hommes, des femmes, des cantinières, des flics, des enfants, des bonnes sours, des paralytiques et des musiciens. Il est venu quelques jours avec nous, de manière aléatoire. D’autres n’auraient pas accepté mais lui a pensé que ce qui nous intéressait, lui dans sa musique, moi dans mon film, était plus captivant que notre propre condition d’artistes, si tant est que l’on puisse s’autoproclamer " créateur ". À ce moment-là on est dégagé : on va jouer la musique là où il faut la jouer, c’est notre métier. Son job est de jouer de la musique pour les vivants, le mien est de faire des films pour les vivants. "
POÉSIE. " La poésie est la meilleure façon de parler du réel. On ne dit jamais aussi précisément ce à quoi on a été confronté, vous et moi, que par la déviation. Le sens arrêté, académique n’existe pas. C’est bon pour les étagères pas pour la vie. L’art transforme la vie, la rend aux vivants d’une façon supportable qui donne des ouvertures. J’aime les films d’Abbas Kiarostami, de Jacques Rozier, de Nanni Moretti, de Cassavetes, j’aime les films d’Ozu, de Jacques Tati. Ce que j’aime chez les poètes est que la forme est libre, s’adapte tout le temps. Le reste m’ennuie. Je préfère les choses moins formelles, plus approximatives. J’aime la liberté de Jean-Luc Godard. J’aime cette liberté que ces gens-là nous demandent d’avoir pour nous-même, d’approcher quelque chose que l’on pourrait avoir à se dire et qui ne durera peut-être pas. "
ACCIDENT. " Comme en peinture, l’accident est premier, il est le roi du monde. C’est accepter que ce qui va vous faire remarquer ce type qui vient de passer est quelque chose qu’il ignore peut-être de lui-même. Les peintres sont des gens pour lesquels j’ai beaucoup d’admiration. Picasso disait que si on sait à l’avance ce que l’on cherche, il n’y a aucune surprise ni aucun intérêt. On pourrait prendre Rilke et ses Lettres à un jeune poète et on arriverait aux mêmes conclusions. Je les crois tellement vraies que je m’étonne qu’elles soient si peu à l’esprit des gens qui font du cinéma. Toute une organisation du travail dans le milieu du cinéma va à l’encontre de ça. Ce qui est important pour moi dans le filmage est de se dire que l’on travaille, on cherche, on gratte, comme un peintre. J’aime dans le cinéma tel que je le pratique là pouvoir m’approcher d’une poignée, la tripoter, sans avoir peur de bidouiller, de taquiner sans avoir honte parce qu’il n’y a pas quarante-cinq personnes qui attendent pendant ce temps : " bon, il est gentil mais il envoie la musique ou il n’envoie pas la musique, on n’a pas que ça à faire ". Moi je ne sais pas ce que je veux ou plutôt je sais ce que je veux mais je ne sais pas forcément comment y arriver. Il n’y a pas d’exemple où on n’y arrive pas donc il faut chercher, filmer, tenter. Et si on tente des choses, il n’y a pas de raison de ne rien recevoir en retour. "
Propos recueillis
par M. G.

Source: L'Humanité.