dijous, 22 de febrer del 2007

Lamièu e lo Borbon


Vaqui un article escrich per Dominique Kalifa dins lo Liberacion dau dijous 22 de febrier. Explica coma la politica es transpausada dins lei romans de Stendhal.
Sorga: Dominique Kalifa, Lamiel et Le Bourbon, in Liberation, jeudi 22 février 2007, pagina VIII.

Les «romanciers du réel» constituent le terrain de chasse de Jacques Dubois. Chez Balzac, Zola, Proust ou Simenon, il traque de longue date les marques de socialité qui organisent ou travaillent le récit. Bien qu'inscrite dans l'imaginaire et le parcours d'individus singuliers, la société demeure, en effet, la grande affaire du roman à compter du XIXe siècle. Mais parce qu'elle opère dans la fiction et ne se réclame d'aucun programme explicite, cette sociologie empirique suppose, pour émerger, un travail d'abstraction et «de mise à distance des scénarios sensibles». C'est à une telle opération que s'est livré Jacques Dubois sur les cinq romans de Stendhal : le peu connu Armance (1827), les très célèbres Rouge et le Noir (1830) et Chartreuse de Parme (1839), et les deux inachevés, Lucien Leuwen et Lamiel. Stendhal y apparaît non seulement comme un fin sociologue, mais aussi comme «l'un des rares romanciers politiques qu'ait connus la France».
Le point de départ peut sembler classique. C'est de l'écart, nous dit Dubois, entre l'étroitesse de l'espace social et l'intensité des pulsions personnelles que naît la dynamique romanesque. Le contexte, on le sait, est déprimant. Pour tous ceux qui, comme Stendhal, ont vibré au rythme de l'épopée impériale, la Restauration et la monarchie de Juillet (ou leur transposition dans le duché de Parme) n'incarnent que la petitesse : société bloquée, régime immobile, culte de l'argent, l'Histoire en creux en quelque sorte. En face, le romancier met en scène «le cercle des primitifs» : des êtres hybrides, imprévisibles, contradictoires, mais doués d'une énergie brute qui les pousse au coup de tête ou au coup d'éclat. Ils vivent mal leur inscription sociale (Julien Sorel porte sa croix de fils de charpentier, Lucien Leuwen de fils de banquier), aspirent à la reconnaissance et sont vite portés à transgresser les barrières de classe. C'est donc par eux que le scandale arrive. Mais le verrouillage du jeu social et politique ne leur laisse guère de latitude. Seul l'espace amoureux est alors disponible. La rencontre avec des «primitives» du sexe opposé, elles-mêmes victimes d'un autre type de carcan, transfère le programme initial dans le champ des relations intimes. «Le politique qui paraissait barré à jamais fait retour au titre de refoulé de la passion», l'amour devient un terrain de luttes sociales, l'érotique une politique. Qu'elles se prénomment Armance, Mathilde, Clélia ou Lamiel, les femmes radicalisent l'action et bousculent au passage les configurations de genre. Ce sont elles qui accomplissent les gestes décisifs, dynamitant dans l'acte sexuel les hiérarchies et les institutions : pensons à Clélia faisant l'amour à Fabrice dans la cellule de l'Obéissance, au coeur même de la forteresse du pouvoir. Stendhal fait ainsi de la passion amoureuse le lieu même de l'opposition politique, où les femmes entraînent les héros dans des actes de profanation symbolique.
Subtile et argumentée, la lecture de Jacques Dubois découpe dans l'oeuvre de Stendhal une sorte d'intrigue princeps où se lisent en effet une conscience acérée du social et un profond désir politique. Une lecture qui ne dit peut-être pas «la vérité du texte», ni ce que furent les appréciations des contemporains, mais qui réactive l'écriture de Stendhal à l'aune de nos interrogations et s'assume clairement comme «lecture d'aujourd'hui». Façon de rappeler sans doute toute l'historicité de l'analyse critique.


Aquo es lo raport de lectura que fa Dominique Kalifa sus un libre de Jacques Dubois, Stendhal. Une sociologie romanesque. La Découverte, 251 paginas, 23 euro.